Le temps s’étirait lentement. Dehors la pluie battait les volets. Assis à l’intérieur, j’étais perdu dans mes pensées.
« A toi de donner Pardon »
C’était Fauché qui s’excitait, ça faisait onze partis qu’on jouait et autant qu’il perdait. Le visage de Cherubin s’éclaira d’un sourire furtif.
« Relax vieux, tu vas finir par te refaire.»
« Tu peux parler, tu viens de remporter les six derniers tours.» Le visage de Fauché s’assombrit. « D’ailleurs c’est louche cette chance ».
Cherubin pris un air vaguement offusqué, sans grande conviction, la lassitude s’installait. « Mes manches sont relevées de toute façon. Bon alors tu donnes Pardon ? »
La parti repris sont cours, huit cartes chacun, le chien au milieu, - l’arrière garde comme on l’appel entre nous, rapport aux surprises qu’elle réserve à ceux qui comptent dessus pour les sauver-.
« Je me couche »
« Pareil » dit Tondu.
« Bordel, idem pour moi », le Sergent jeta ses cartes devant lui. « Et toi Prie-Dieu ? ».
« La chance est avec moi, je relance de treize. Sert moi une carte . » Prie-Dieu lança un regard à la fois vide mais particulièrement dérangeant à Cherubin assis en face de lui.
On ne sait pas bien ce que faisait Prie-Dieu avant de rejoindre la compagnie. La plupart des gars ne parlent pas de leur passé, il n’a souvent rien de glorieux ; et puis ça entretient le mystère. Mais Prie-Dieu était réellement une énigme, du genre que l’on ne tient pas vraiment à résoudre. Il nous avait rejoint durant la bataille de Cadia, avant notre mutinerie. On le pensait prêtre et comme il n’a jamais rien dit le sobriquet lu est resté. Il avait le coup pour mettre les autres mal à l’aise sans dessouder les lèvres.
« Je suit »
La parti continuait.
« Pour la paix de ton âme Cherubin, tu ferais bien de perdre ce coup ci » dit le Sergent après un long silence.
« A ouais ! j’risque plus grand-chose de ce côté-là de toute façon »
« Et bien rappel toi qui est de popote cette semaine alors, hum ? »
Cherubin grimaça en voyant le visage de Fauché s’éclairer d’un rictus mauvais. On pouvait voir défiler toutes les crasses qu’il envisageait sur sa trogne de Furet.
La porte du fond s’ouvrit et un souffle glacial fila entre les chaises, faisant voler quelques cartes. Deux- trois clients levèrent la tête de leur consommation mais ne la rebaissèrent pas tout de suite, nous lançant un regard à la dérobé. Derrière ce qui tenait lieu de comptoir à ce bar miteux, le patron avait une mine anxieuse.
Le sergent me fixa. Les choses bougeaient enfin. Il était sorti de son trou….
Extrait des annales du parjure Pardon, membre des Chiens de Cadia. (ref 20013E59x)